Écrit par
Gaëlle Noémie Jan
Peu à peu, les esprits s’éveillent quant à nos manières de vivre et de consommer. Un exemple concret de transition écologique au quotidien? Ne plus succomber aux gobelets de café jetables et opter pour une tasse réutilisable.
Un réseau de cafés montréalais a lancé en 2018 l’initiative « La tasse ». Rencontre avec Aurore Courtieux-Boinot, consultante en environnement, chargée du projet La tasse au sein de l’organisme « La vague », et tour d’horizon de projets florissants, marqueurs d’un mouvement des consciences.
La tasse, histoire d’un mouvement
La tasse est née d’un constat désolant fait par les propriétaires des cafés Oui mais Non et La Graine Brûlée: l’habitude comportementale de prendre automatiquement un gobelet de café pour ensuite le jeter.
N’ayant plus envie d’être instigateurs de déchets ni de voir leur logo dans une poubelle (au mieux, puisqu’une analyse faite à Montréal démontre que 15% des déchets sauvages, ceux laissés au sol en dehors des poubelles, sont des gobelets), les commerçants se sont mis à la recherche d’une solution.
Les deux cafés mettaient déjà à disposition un mug réutilisable, mais le coût de la consigne atteignait 20$ et les clients n’adhéraient pas, n’osaient pas amener leur propre contenant ou bien l’oubliaient tout simplement.
Ils ont donc démarché leur écoquartier local, Villeray, pour remédier au problème. Une fois la validité du projet confirmée par des sondages réalisés auprès de la population (une réponse favorable à hauteur de 92%) puis des commerçants, un point essentiel est ressorti: pour que l’idée germe, ce projet doit être pensé en termes de communauté.
Dans un premier temps, six cafés embarquent dans le comité et douze commerces en tout dans le projet pilote aux côtés de l’écoquartier Villeray. Différentes pistes de réflexion sont soigneusement étudiées au fil des mois – de l’exigence d’être en accord avec les valeurs culturelles jusqu’aux choix des matière, couleur et forme – et le comité statue et lance La tasse, une consigne au coût de 5$ au design simple et attrayant, fin août 2018.
La force du réseau
L’accueil du projet est bien plus grand qu’estimé. «Après le lancement, on a eu des coups de fil de partout, confie Aurore. On répond à un besoin actuel, celui d’offrir une alternative lorsque l’on n’a pas de contenant sur nous, et ce besoin est réplicable à toute échelle.»
Le réseau balaye aujourd’hui le Québec; de l’Abitibi-Témiscamingue aux Îles de la Madeleine, de la Gaspésie à l’Estrie, avec plus de 200 cafés-membres à son actif.
Oser faire différemment
La tasse ne veut pas faire de profits, pourtant, quelques échos médisants prêtent au comité des intentions capitalistes. «La consigne n’est pas une vente et le seul but du projet est de lutter contre les objets jetables et les objets réutilisables inutilisés, souligne Aurore. Le jour où il ne sera plus utile car tout le monde aura sa tasse réutilisable, on sera bien contents.»
Ainsi, encaisser un chèque conséquent proposé par une grande entreprise qui souhaite donner des tasses à leurs employés va doublement à l’encontre de la philosophie écoresponsable qui nourrit la mission. Une offre que le comité a refusée. En effet, si le contenant est offert, le constat établi au premier jour demeure intact: c’est un objet de trop qui risque de finir dans une poubelle.
«Ce que l’on cherche, c’est inciter à poser un regard plus lucide sur notre environnement et sur les objets qui le composent, explique-t-elle. Il est temps d’oser faire différemment, de repenser ce qui a été imbriqué dans nos schémas de pensées autour de l’objet jetable floqué d’un logo d’entreprise, symbole d’une consommation qui est complètement déconnectée de la logique du sens.»
«L’objet à usage unique, un outil marketing plus acceptable»
Le gobelet jetable, estampillé d’une enseigne et bien longtemps vendeur, n’est plus acceptable, lance Aurore au fil de l’échange. Cela soulève, fait réfléchir. Ne plus succomber à l’objet marketing à usage unique, à l’objet-cadeau, et prendre conscience des écueils de la philosophie du gratuit, voilà ce que nous souffle pertinemment l’initiative. Et l’on ne demande que de plonger un peu loin dans les enjeux environnementaux pour en comprendre davantage les dessous.
Le regard environnemental
Pour poser un regard environnemental efficient sur notre monde, un mouvement de recul est nécessaire. La situation est à saisir dans son ensemble. Selon le principe de l’approche du cycle de vie (ACV) utilisé par le CIRAIG, centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et service, prendre en compte les impacts environnementaux, sociaux et économiques propres à un produit ou à un service est nécessaire.
L’analyse de cycle de vie consiste en effet à regarder l’empreinte écologique dans son intégralité. Toutes les phases sont considérées, de l’extraction et la transformation à l’utilisation par le consommateur, puis la gestion de fin de vie.
En ce sens, le matériau choisi pour La tasse grâce à cette analyse remplit, pour l’heure, les meilleurs critères possible en termes de résistance, d’entretien, d’impact écologique de l’utilisation et du recyclage. En effet, facilement recyclable au Québec et ne nécessitant que 50 utilisations avant de représenter moins d’impacts que les gobelets jetables, le prolypopylène s’avère, à ce jour, être la meilleure option.
Un pari
L’approvisionnement a bien évidemment soulevé des points délicats, notamment le choix du pays, porté sur la Chine pour la matière plastique, mais le pari était à faire. « L’objectif premier était de faire appel à un fabricant local, mais changer d’échelle et prendre en Chine une PME [petite ou moyenne entreprise] possédant un certificat de responsabilité sociale et nous permettant de lancer un petit volume de production, montrait notre besoin d’aller de l’avant et engageait une confiance dans nos bonnes intentions. » Une confiance gagnée.
S’interroger sur le matériau et son origine est tout à fait légitime, mais Aurore n’oublie pas de recadrer le réel problème sur la question de l’usage unique. «En environnement, il n’y a pas de réponse simple, il y a des interrogations et des consensus.» En d’autres termes – pragmatiques et efficaces – ajoute-t-elle: « il n’y a pas de méchant plastique et de gentil bambou!»
Sans oublier que l’organisme poursuit ses efforts pour travailler avec un producteur local dès qu’il en aura les moyens.
De « La tasse » à « La vague »
Rester à l’affût des avancées scientifiques en matière d’impact environnemental pour agir mieux encore est une préoccupation fondamentale de l’organisme. La tasse est aujourd’hui couvée par La vague, organisme à but non lucratif qui a vu le jour au début de l’année 2019 et qui chapeaute également «Le projet 0.25$» destiné à charger 25 centimes de plus chaque gobelet jetable choisi par le client dans les cafés participants.
La vague se donne pour mission de sensibiliser, d’outiller les industries du café et les restaurateurs aux pratiques écologiques et d’accompagner la mise en application de solutions écologiques. L’OBNL souhaite inspirer un changement des habitudes quotidiennes du consommateur.
« Nous sommes tous dans une transition, les contradictions existent et l’important est de faire des choix en connaissance de cause. La clé est de donner des outils, de donner la compétence de faire un choix différent, d’où la proposition d’alternatives. Dans le domaine des emballages, la consigne est une réponse essentielle pour atteindre une responsabilité partagée entre le commerçant et le client, et un équilibre entre la proposition et la consommation. »
De La tasse à La vague, c’est un pas de plus vers la transition écologique que nous faisons. «C’est une réponse de société et non une réponse individuelle» qu’il faut apporter, avise sagement Aurore pour conclure.
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